Un appel d'offres illégal à Québec
L'Assemblée nationale cible un produit Microsoft pour remplacer 1200 suites bureautiques, écartant les logiciels libres
De la parole, sans les actes. Tout en légiférant sur l'importance de promouvoir les logiciels libres dans l'administration publique, l'Assemblée nationale vient de lancer un appel d'offres pour le remplacement de 1200 suites bureautiques qui favorise uniquement les produits de la multinationale Microsoft, a appris Le Devoir. Une pratique pourtant jugée illégale en 2010 par la Cour supérieure du Québec et que dénoncent vivement les défenseurs des logiciels libres, non privatifs et surtout non associés à de coûteuses licences d'utilisation.
«Nous sommes consternés, lance à l'autre bout du fil Cyrille Béraud, président de la Fédération québécoise des communautés et industries du libre (FQCIL), un groupe de pression qui défend les intérêts économiques et sociaux du logiciel libre au Québec. C'est un cas flagrant de la main droite qui ne sait pas ce que fait la main gauche. Un tel appel d'offres, lancé par la plus haute institution du pays, garante de nos valeurs et de notre bien commun, va à l'encontre de la volonté du législateur. Elle nuit également à l'indépendance technologique du Québec, à l'innovation et ne favorise pas un développement économique durable.»
Un produit Microsoft
Publié lundi, l'appel d'offres de l'Assemblée nationale, émanant de la direction des ressources financières et de l'approvisionnement, vise le remplacement ferme de 600 suites bureautiques couplé à l'achat de 600 autres en option, pour un total de 1200 logiciels. Le document cible spécifiquement le produit Office Pro Plus 2010, de la compagnie Microsoft, faisant du coup fi des équivalents existants dans le domaine du logiciel libre.
L'appel, pour ce contrat évalué entre 900 000 $ et 1,2 million de dollars, est ouvert jusqu'au 28 février prochain. La FQCIL exige son annulation pure et simple et sa réécriture afin d'inclure des produits libres tels que OpenOffice.org ou LibreOffice, qui «ont amplement démontré à travers le monde qu'ils répondaient parfaitement aux besoins d'organismes tels que l'Assemblée nationale, tout en étant bien plus économiques», dit l'organisme.
Un appel illégal
En juin 2010, le juge Denis Jacques de la Cour supérieure avait qualifié d'illégal et contraire au droit ce type d'appels d'offres qui discriminent les logiciels libres au profit des logiciels de la multinationale américaine Microsoft, et ce, dans un jugement rendu dans la cause opposant Savoir Faire Linux et la Régie des rentes du Québec (RRQ). Résumé: l'entreprise versée dans le logiciel libre dénonçait alors l'attribution par cet organisme public d'un contrat informatique à la compagnie de Bill Gates sans avoir pris la peine d'évaluer un remplacement de ses logiciels par des solutions dites libres.
Pis, en juin dernier, l'Assemblée nationale a adopté la loi 133 sur la gouvernance et la gestion des ressources informationnelles des organismes publics et des entreprises du gouvernement, dans laquelle le logiciel libre occupe une place importante comme moyen d'«assurer la pérennité du patrimoine numérique gouvernemental». En harmonie avec le jugement Jacques, le texte précise d'ailleurs que l'appareil de l'État doit à l'avenir considérer «les logiciels libres au même titre que les autres logiciels». Dans les derniers mois, le gouvernement Charest, tout comme l'opposition, s'est porté à la défense du logiciel libre et a reconnu son importance dans le contexte budgétaire, social et numérique actuel.
«En matière de logiciels libres, il y a les beaux discours et il y a la réalité», dit M. Béraud, qui rappelle que l'adoption de ce type de produits par l'administration publique peut être une source d'économie, mais également une façon de stimuler la création d'une industrie informatique québécoise du logiciel libre. Avec ces formats ouverts et libres, ce type d'applications dont le code source est accessible à tous les programmeurs a été imaginé en opposition aux applications fermées et privatives contrôlées par une poignée de multinationales et associées à de coûteuses licences d'utilisation.
Malgré nos appels, il n'a pas été possible de parler à un représentant de l'Assemblée nationale hier.
Dans plusieurs pays, comme les États-Unis, la France ou le Brésil, la prolifération des logiciels libres est encouragée dans les organismes publics en raison des économies qui peuvent s'ensuivre, mais aussi en raison d'autres avantages: le logiciel libre ouvre en effet la porte à un accès plus équitable à la technologie et aux données publiques, crée des environnements informatiques plus sécuritaires, moins sensibles aux virus, plus malléables, et les retombées économiques se font localement... Pour plusieurs acteurs numériques du Québec, ce logiciel libre est une des composantes d'une démocratie et d'une gouvernance qui s'inscrivent dans la nouvelle réalité numérique.
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