Ne touchons pas aux Gaz de Schiste!
Enfin une explication claire en français sur les 2 conséquences majeures qui devraient nous pousser à ne pas exploiter les gaz de schiste avec la technique proposée actuellement.
Bonne Lecture!
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Exploitation de puits gaziers classiques vs exploitation par forages à grande extension horizontale et fracturation hydraulique
Pourquoi dans l’exploitation du gaz de shale ne peut-on extraire plus de 20 % du gaz présent et quel est la conséquence de ce fait ? Pour y répondre de façon claire à partir des connaissances encore limitées que nous avons des impacts à long terme de la technique de fracturation hydraulique dans des long forages horizontaux, nous allons analyser ici les différences les plus évidentes entre cette dernière méthode versus l’exploitation des gisements classiques.
Dans l'exploitation classique, les gisements gaziers sont trouvés dans des structures géologiques particulières : formation ou structure géologique présentant une grande porosité résultant de vides intergranulaires et/ou fractures naturelles intercommunicantes, le tout coiffé par une formation étanche qui emprisonne le sommet du réservoir, comme dans le schéma ci-dessous:
Figure1. Schéma classique d’un gisement de gaz
Une fois la structure trouvée après une véritable exploration géologique, les puits d'extraction atteignant le réservoir peuvent extraire la quasi totalité (>95%) du gaz du gisement. Le gaz est poussé vers le haut par l'eau (éventuellement présence d'hydrocarbures liquides entre l'eau et le gaz). Il est important de noter que ce gaz a TRÈS lentement migré depuis une roche mère (une roche sédimentaire qui peut être du shale par exemple) et s'est accumulé dans le réservoir naturel dans un processus qui a pris des centaines de milliers d'années et plus probablement des millions d'années. Pourquoi? parce que la perméabilité des roches-mères de type shale ont des coefficient de perméabilité extrêmement faibles (<10exp-12 m/s). Une fois rendu dans la roche perméable qui constitue le piège géologique, la perméabilité est là de plusieurs ordres de grandeur plus élevée (>10exp-6 m/s). En exploitant un gisement naturel, le gaz migre facilement vers le puits d'extraction. C'est pourquoi on estime qu'à un moment donné, la production du puits tombe à zéro. Le réservoir n'est pas vide à 100%, mais presque.
C'est extrêmement dangereux de transposer cette image dans le cas des puits pour le gaz de schiste; dans ces cas là, la fracturation est immédiate et l'équilibre n'est pas atteint en fin d'exploitation. En plus, les étendues ne sont pas limitées à un gisement localisé, mais à toute une couche géologique qu'on transforme radicalement.
Dans le cas où on fracture artificiellement le shale gazier lui-même, la migration du gaz se fait sur une distance plus courte que la longue migration dans le cas précédent, mais ce n'est pas un processus instantané. À quelques mm du bord d'une fracture, le gaz s'échappe assez vite (figure ci-dessous), mais plus la distance augmente, plus il faut compter sur des temps géologiques pour que le processus de migration fasse dans ce nouveau shale ce qu'il a fait dans les migrations vers les réservoirs naturels. Avec une perméabilité de 10-12 cm/s par exempl,e même sous un gradient (i) élevé de 100, le temps requis pour parcouris quelques centimètres seulement se compte en siècle et même en millénaires (v = Kxi). C’est ainsi que ça se passe dans les parties du shale resté intact entre les fractures. Mais en raison du fort gradient, la migration se fait tout de même.
Figure 2. Mécanisme de migration du gaz dans le shale au voisinage de nouvelles fractures ; vue métrique du shale à la fin de l’exploitation (3 à 5 ans ?).
L'exploitation par fracturation hydraulique donne ailleurs des courbes de décroissance logarithmique ou exponentielles comme le montre la figure ci-dessous inspirée de données obtenues pour le shale Marcellus:
Figure 3 Les courbes théoriques de débits d’exploitation du gaz de shale
Le débit n'est intéressant commercialement que pour quelques années; mais après, c'est aberrant de dire qu'il n'y a plus de gaz et qu'on ferme le puits (dixit géologue de Talisman*). Il n'y a pas de débit zéro avant un temps = à l'Infini.
Surtout que L'Office National de l'Energie estime que la partie extraite pendant la période d'extraction commerciale, laisse en fait encore 80% du gaz dans le shale. Il n'y a rien pour stopper le processus amorcé. Il va se poursuivre sur des siècles et millénaires. Et les puits-bouchons n'auront pas cette durée de vie. Il serait bien étonnant que l'industrie du gaz de schiste ait inventé dans les huit dernières années des structures qui résisteront des millénaires. La poursuite de la migration du gaz va lentement remettre les puits en pression. Après un temps d’ordre géologique, ça pourra même devenir, ce nouveau réseau de fractures, un gisement comparable à un gisement classique.
Les ingénieurs civils aimeraient bien depuis toujours avoir des techniques pour faire des viaducs et des ponts qui résistent plus de cinquante ans. Voici que l'industrie du gaz, avec les mêmes matériaux, acier et ciment, veut nous convaincre qu'elle détient la recette pour que ces milliers de puits-bouchons résistent éternellement aux pressions croissantes dans ce grand réservoir d'Utica fracturé, sous nos pieds dans la plaine du St-Laurent.
En conclusion
Il y a deux différences importantes entre le gaz de shale et le gisement de gaz classique et ces deux différences fournissent à elles seules les raisons fondamentales pour écarter totalement l’idée très peu réfléchie d’exploiter les gaz de schiste par la technique proposée actuellement :
1- La technique de fracturation hydraulique crée artificiellement un réseau de fractures interconnectées vers lequel le gaz se mets à migrer ; la technique amorce un processus d’écoulement du gaz dans le gisement, comme cela s’est fait dans les gisements classiques en centaines de milliers d’années, mais la technique ne peut aucunement <span>accélérer</span> ce processus géologique. La construction d’un puits et la fracturation sont réalisées en quelques semaines ; l’écoulement s’amorce et se poursuivra sur une échelle de temps géologique (>100 000ans). La durée du temps, avant qu’on ferme les puits quand le débit devient non rentable, ne représente qu’une infime portion de ce temps géologique.
2- Le forage de puits et la fracturation du massif est une opération totalement irréversible sans aucune solution technique pour remettre le massif de shale dans son état d’imperméabilité originale. Ces puits, obturés en fin d’exploitation commerciale, deviennent des conduits potentiels pour les fuites de gaz. Pour ces structures, comme toute structure faite d’acier et de béton**, on doit se poser la question fondamentale de leur durée de vie, de ce qui surviendra quand leur état de dégradation ne leur permettra plus de résister à la pression du gaz. La pression des gaz dans le réservoir va croître de façon lente mais continue d’une part et la dégradation des puits va aller croissant dans le temps d’autre part. Ces deux phénomènes vont se manifester dans le temps en surface par une montée en nombre et en débit des fuites de méthane. La gestion de ces ouvrages enfouis va coûter des sommes colossales.
* https://www.facebook.com/note.php?note_id=189917767706479
** plus précisément de coulis de ciment dans le cas de puits et non de vrai béton ; le coulis est beaucoup moins résistant et durable que du vrai béton.
Marc Durand, doct-ing en géologie appliquée
Professeur retraité, dépt. Sciences de la terre, UQAM
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