Dries Buytaert est le créateur de Drupal, un système de gestion de sites Web (CMS) libre – modifiable par tout utilisateur – et gratuit. Il est également cofondateur et responsable technologique d'Acquia, une société de services liés à Drupal.
Drupal est utilisé par plusieurs sites institutionnels importants, dont le site de la Maison Blanche. Pourquoi les administrations, notamment américaines, s'intéressent-elles à votre CMS ?
Tout d'abord, le gouvernement américain n'a pas découvert soudainement l'existence de Drupal : il l'avait déjà utilisé pour plusieurs sites de moindres envergures avant de faire ce choix pour Whitehouse.gov. Je crois que Drupal correspond à la vision du président des Etats-Unis, avec des valeurs de transparence, d'ouverture, et de volonté de changer la manière dont le gouvernement et les citoyens communiquent. Drupal est doté de nombreuses fonctionnalités de gestion des commentaires, de discussion : cela correspond à ce que cherchait le président Obama.
Par ailleurs, l'administration Obama cherche à réduire les coûts de ses services. Le choix d'une solution open source, comme Drupal, est une alternative meilleur marché que des logiciels propriétaires.
Vous présidez l'association Drupal, mais vous êtes aussi le cofondateur d'Acquia, une société de services liés à Drupal. Peut-on gagner de l'argent en fournissant des services autour d'un logiciel distribué gratuitement ?
Bien sûr. Il y a deux manières principales de gagner de l'argent autour d'un CMS libre. La première, et la plus classique, est de construire des sites Drupal pour des clients. Nous, nous nous concentrons sur le support commercial. Nous fournissons à nos clients l'assurance d'avoir à tout moment une équipe de spécialistes de Drupal sous la main, pour régler leurs problèmes dans un délai très court, en semaine comme le jour de Noël. C'est un service "business to business", pour lequel les entreprises et les administrations sont prêtes à payer.
Drupal a la réputation d'être un logiciel plus complexe et plus difficile à appréhender que d'autres CMS, comme Wordpress. Est-ce un aspect sur lequel vous travaillez dans la prochaine version du logiciel, Drupal 7 ?
C'est vrai, Drupal est un peu plus compliqué à utiliser que Joomla ou Wordpress, par exemple. Mais c'est parce que la plupart des autres CMS sont conçus pour faire une seule chose, et la faire de façon efficace et simple, comme un blog. Drupal est plus proche d'une plate-forme complète : il permet de construire un blog, un intranet, un site commercial, ou un site très complexe comme celui de la Maison Blanche. Cette flexibilité va de pair avec un niveau de complexité plus important.
Cela ne veut pas dire que nous ne sommes pas attentifs à cette problématique : nous avons fait beaucoup d'efforts pour rendre Drupal 7, qui sortira dans les prochains mois, plus simple d'utilisation que les versions précédentes.
L'un des principes de Drupal est l'utilisation de modules, qui permettent d'ajouter des fonctionnalités à un site. Or, une partie de ces modules risquent de ne pas être compatibles avec la nouvelle version du logiciel...
Oui, nous procédons à des changements importants entre les version 6 et 7, notamment au niveau de l'interface de programmation (API). Les modules devront donc être mis à jour : tous ne seront pas prêts pour la sortie de la version 7, mais à terme, tous les modules soutenus par la communauté seront adaptés.
En France, le portail France.fr, lancé le 14 juillet, utilise Drupal. Le site est en panne depuis son lancement, et certains commentateurs ont estimé que Drupal n'était pas adapté pour les sites à fort trafic.
Je ne pense pas que cela soit vrai. Beaucoup de sites à très fort trafic utilisent Drupal, dont des sites de très grandes entreprises. Il y a quelque temps, une entreprise a contacté Acquia, un jeudi, pour lancer un site événementiel le lundi suivant. Elle prévoyait 20 millions de visiteurs uniques sur la journée : nous avons pu monter le site pour le vendredi, faire des tests durant le week-end, et le lundi, le site a fonctionné normalement, en servant 20 millions de pages sur la journée.
J'ai appris il y a quelques jours seulement que France.fr utilisait Drupal. J'ai donc envoyé un e-mail aux autorités françaises pour leur proposer d'héberger le site ou de leur fournir des conseils sur sa conception, gratuitement. Je n'ai pas eu de réponse, mais je suspecte qu'un problème qui dure aussi longtemps ne peut pas être uniquement technique, il est peut-être aussi politique.
Que représente aujourd'hui Drupal sur le Web ? Quelles sont selon vous ses marges de progression ?
Ces dernières années, Drupal a connu une croissance régulière. En analysant le million de sites suivis par le site d'analyse de trafic Alexa, nous avons constaté que plus d'un pour cent des sites utilisent Drupal. Plus généralement, nous avons l'impression que nous avons atteint un point de basculement depuis plusieurs mois : auparavant, dans le monde de l'entreprise, le nom de Drupal n'était connu que des ingénieurs et des administrateurs système. Aujourd'hui, le PDG et le management savent ce que c'est.
Au-delà de Drupal, le logiciel libre et open-source a connu une très forte progression ces dernières années, avec des logiciels comme Firefox ou Open office. Quel regard portez-vous sur l'avenir du logiciel libre ?
Je crois que la première bataille est finie, et c'est le logiciel libre qui a gagné. Il y a cinq ou dix ans, il fallait faire preuve de pédagogie pour expliquer ce qu'est un logiciel libre et son intérêt. Cette époque est révolue : aujourd'hui, les utilisateurs sont convaincus, ils sont à l'aise avec l'idée des licences ouvertes. Il reste bien sûr des choses à faire, mais sur ce volet, le plus dur est derrière nous.
A l'avenir, je vois deux terrains qui restent à conquérir. Il y a d'abord tout ce qui concerne les données ouvertes, la démocratisation de l'accès aux informations publiques. Et puis il y aura aussi un important chantier autour des services en ligne. Chez Acquia, par exemple, nous essayons d'appliquer les principes du logiciel libre à notre service d'hébergement grand public, Drupal gardens, en offrant notamment la possibilité aux utilisateurs d'exporter totalement leur site sur une autre plate-forme. Le développement des services est important pour l'avenir du logiciel libre et son financement, et il doit se faire dans le respect des principes du libre, sans enfermer l'utilisateur.
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