Donner envie de lire Un monde sans Copyright

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Temps de lecture 6 min

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OpenSourceWay - CC by-saIl y a quelques semaines encore, évoquer la disparition de l’euro était totalement impensable. Ce serait, nous disait-on, le chaos absolu. Cela n’a rien certes rien à voir mais plutôt que d’essayer lentement, péniblement, de modifier le droit d’auteur pourquoi ne pas envisager purement et simplement sa suppression ?

C’est la thèse radicale du framabook que nous avons publié en mai dernier et dont nous vous proposons ci-dessous quelques extraits de l’introduction.

Le titre exact est Un monde sans copyright… et sans monopoles et les auteurs sont les néerlandais Joost Smiers (professeur de science politique à l’École Supérieure des Arts d’Utrecht) et Marieke van Schijndel (directrice du Musée Catharijne Couvent à Utrecht).

Il est disponible en ligne ou dans notre boutique EnVenteLibre pour 10 €[1].

À l’heure où Cory Doctorow nous parle d’une « guerre du Copyright » prémisse à une éventuelle guerre totale, il n’est peut-être pas si délirant que cela d’étudier aussi cette option.

Extrait de l’introduction

Joost Smiers et Marieke van Schijndel – Amsterdam / Utrecht, janvier 2011
Licence Creative Commons Zero

Le droit d’auteur confère aux auteurs le contrôle exclusif sur l’exploitation d’un grand nombre de créations artistiques. Souvent, ce ne sont pas les auteurs qui détiennent ces droits, mais de gigantesques entreprises à but culturel. Elles ne gèrent pas seulement la production, mais aussi la distribution et le marketing d’une vaste proportion de films, musiques, pièces de théâtre, feuilletons, créations issues des arts visuels et du design. Cela leur donne une grande marge de manœuvre pour décider de ce que l’on voit, entend ou lit, dans quel cadre, et, par-dessus tout, de ce que l’on ne peut pas voir, lire ou entendre.

Naturellement, les choses pourraient atteindre un stade où la numérisation permettra de réorganiser ce paysage hautement contrôlé et sur-financé. Cependant, on ne peut en être sûr. Partout dans le monde, la quantité d’argent investi dans les industries du divertissement est phénoménale. La culture est le nec plus ultra pour faire du profit. Il n’y a pas de raison d’espérer, pour le moment, un quelconque renoncement à la domination du marché de la part des géants culturels, que ce soit dans le vieux monde matériel ou dans le monde numérique.

Nous devons trouver le bon bouton pour sonner l’alerte. Lorsqu’un nombre limité de conglomérats contrôle la majorité de notre espace de communication culturelle, cela a de quoi ébranler la démocratie.

La liberté de communiquer pour tous et les droits de chacun à participer à la vie culturelle de sa société, comme le promeut la Déclaration universelle des droits de l’homme, peuvent se trouver dilués au seul profit de quelques dirigeants d’entreprises ou d’investisseurs et des programmes idéologiques et économiques qu’ils mettent en œuvre.

Nous sommes convaincus que ce choix n’est pas une fatalité. Néanmoins, s’il est possible de créer un terrain commun, le droit d’auteur présente selon nous un obstacle.

Corrélativement, nous avons remarqué que les bestsellers, blockbusters et stars des grosses entreprises culturelles ont un effet défavorable. Ils dominent le marché à un tel point qu’il y a peu de place pour les œuvres de nombreux autres artistes poussés à la marge, là où il est difficile pour le public de découvrir leur existence.

Dans le premier chapitre, nous analyserons les inconvénients du droit d’auteur qui rendent illusoire l’idée d’y placer davantage d’espérances.

Comme nous ne sommes pas les seuls à être conscients que cet instrument est devenu problématique, nous consacrerons le second chapitre aux mouvements qui tentent de remettre le droit d’auteur sur la bonne voie. Or, bien que nous soyons impressionnés par les arguments et les efforts de ceux qui essayent de trouver une alternative, nous sentons qu’une approche plus fondamentale, plus radicale, nous aidera plus tard, au XXIe siècle.

C’est ce que nous exposerons dans le chapitre 3. Nous nous efforcerons alors de créer un terrain commun pour les très nombreux entrepreneurs du monde culturel, y compris les artistes. En effet, d’après notre analyse, il n’y a plus aucune place sur ce terrain de jeu ni pour le droit d’auteur ni pour les entreprises qui dominent d’une manière ou d’une autre les marchés culturels.

Voici nos prévisions :

  • Sans la protection de l’investissement du droit d’auteur, il ne sera plus rentable de faire de gigantesques dépenses dans les blockbusters, les bestsellers et les vedettes. Ils ne seront alors plus en mesure de dominer les marchés.
  • Les conditions du marché qui permettent l’apport financier à destination de la production, de la distribution ou du marketing, n’existeront plus.
  • Dès lors, notre héritage passé et présent d’expression culturelle, les biens communs de la créativité artistique et de la connaissance, ne seront plus privatisés.

Le marché sera alors tellement ouvert que de très nombreux artistes, sans être dérangés par les « géants » du monde culturel, seront capables de communiquer avec le public et de vendre plus facilement leurs œuvres. Dans le même temps, ce public ne sera plus saturé de marketing et sera capable de suivre ses propres goûts, de faire des choix culturels dans une plus grande liberté.

Ainsi, par de courtes études de cas, le chapitre 4 montrera comment nos propositions peuvent atteindre leurs buts.

Nous sommes conscients de proposer là d’importants bouleversements. Parfois, cette pensée a de quoi rendre nerveux. Nous voulons diviser les flux financiers des segments majeurs de nos économies nationales et de l’économie globale — ce que sont les secteurs culturels — en portions bien plus petites.

Cela impliquera une restructuration du capital d’une portée incommensurable et quasiment sans précédent. En conséquence, les industries culturelles, dans lesquelles les chiffres d’affaires atteignent des milliards de dollars, seront totalement bouleversées.

Nous n’avons guère de prédécesseurs ayant visé aussi systématiquement à construire des conditions de marché totalement novatrices pour le champ culturel, ou du moins à poser les fondations théoriques de cette construction.

Aussi, nous fûmes agréablement surpris de lire dans le New York Times, le 6 juin 2008, les propos de Paul Krugman, Prix Nobel d’économie :

« Octet par octet, tout ce qui peut être numérisé sera numérisé, rendant la propriété intellectuelle toujours plus facile à copier et toujours plus diffcile à vendre au-delà d’un prix symbolique. Et nous devrons trouver les modèles d’entreprises et les modèles économiques qui prennent cette réalité en compte. »

Élaborer et proposer ces nouveaux modèles d’entreprise et d’économie est précisément ce que nous faisons dans ce livre.

Notes

[1] Crédit photo : OpenSourceWay (Creative Commons By-Sa)

5 Responses

  1. vvillenave

    [Disclaimer : je n’ai pas – encore – lu le livre.]
    J’ai toujours un peu de mal avec ces théories de la disparition du droit d’auteur (qui recouvrent souvent une espèce d’idéologie anti-intellectualiste). Que le droit d’auteur tel que nous le connaissions depuis deux-trois siècles soit chamboulé, malmené, et appeler à changer, ça me paraît certain. Que sa durée ne puisse plus être rallongée à coup de grotesques faux-semblants législatifs, c’est probable (et souhaitable) — et qu’elle puisse être réduite considérablement, un paquet de gens militent en ce sens. Mais de là à imaginer un **zéro** droit d’auteur, c’est peut-être un peu hâtif. (Particulièrement dans « nos » pays de droit moral, le copyright anglo-saxon étant quand même une protection nettement moindre et très orientée pognon.)

    Il me semble, au contraire, que les licences Libres sont LE dernier rempart du droit d’auteur, sa _seule_ chance de survie avant le domaine public. Et que les Libristes sont parvenus à faire en sorte que le droit _d’auteur_ mérite pleinement son nom, en laissant lesdits auteurs, et personne d’autre, décider du devenir de leurs travaux. Plutôt que l’explosion pure et simple, il me semble que la démarche Libriste est une démarche de réconciliation et de reconquête de l’équilibre entre les auteurs et le corps social. (J’avais d’ailleurs proposé de formaliser cet équilibre par une réforme du droit d’auteur en forme de contrat social évolutif, ce qui avait assez plu à RMS malgré sa tâche aveugle en ce qui concerne les œuvres non-logicielles : http://partipirate.org/blog/com.php… )

  2. gosh

    Il y a 3 types de brevets. Commençons par le brevet d’artiste.
    A priori Saltimbanque est un métier puisque c’est ce que revendiquent aujourd’hui les editeurs et quelques artistes. Donc ils faut un salaire. Qui dit travail dit salaire.
    A l’echelle politique actuelle, je pense que saltimbanque devrait dans ce cas etre un métier d’etat. Les Saltimbanques doivent etre des fonctionnaires, au minimum, afin d’assurer la liberté des idées, de copie et de recopie, voir de modification tout en rémunérant les artistes.
    Payer plus d’impots ? Oui, si on impose suffisament les banques, les riches, il y a largement de quoi nourir nos saltimanques et je dirais même que si nous avons un site de telechargement officiel, en .gouv, nous n’aurront plus de piratage et nous saurons quel saltimbanque mérite plus qu’un autre. Evidement ca demande une identité officielle, comme au poker, car on ne peux pas permettre le multicompte. Les chiffres doivent etre transparents.
    Maintenant est-ce que ca suffit ? non
    Parce que telecharger ne veut pas dire aimer, il faut aussi prendre en compte la notation de chacuns, je pense que l’equilibre doit etre 50/50. Une remunération qui depend à 50% de la note, et à 50% du nombre de telechargement. Ainsi, on rémunère tout de même la com, car il est vrai que c’est aussi un métier aujourd’hui. Après nous pouvons débatre sur ce dernier metier capitalo mais j’essai d’imaginer une sorte d’entrephase.
    Mais les brevets ce n’est pas que la musique et les films. (Pour les jeux video je ne me fais pas de soucis, avec l’arrivée probable des jeux en streaming, le jeu video fonctionnera comme le materiel puisque l’utilisateur est actif et le scenario en dépend)
    Il y a d’autres types de brevets, l’invention (le materiel) et le vivant. Il ne faut pas mettre ces trois types de droits d’auteur dans le meme panier, ce n’est pas la meme chose exactement.
    Pour le materiel, le systeme de brevet actuel fonctionne assez bien, la contrefaçon existera toujours de toutes façons. Mais je pense que l’etat serai capable aujourd’hui, de s’auto-suffir, je veux dire avoir une industrie (appartenant à l’etat) qui paierai des ouvriers qui serait des fonctionnaires (voulant gagner plus) pour creer le bien commun : une nourriture qui ne serait pas tres varié au debut mais tout de meme gratuite car suffisament abondante et de plus en plus variée par la suite. A la limite, le reste, ou le trop plein peut s’exporter (tans qu’il y a des acheteurs pour acheter…).

    Je ne parlerais pas du brevet vivant, ce n’est meme pas pensable ethiquement.

    Je vous vois deja venir :
    Oui mais qui va bosser dans ton monde de fonctionnaires, parce que l’etat a besoin d’argent pour payer ses fonctionnaires ? Et qui va vouloir etre fonctionnaire si on peut tout avoir gratuit ou presque.
    Je répondrai par :
    Ce n’est pas parce qu’on pourrait, muni d’une carte anti-abus, une carte bleue mais avec zero francs dessus : juste pour dire : j’ai pris mon cady cette semaine , aller chercher son cady et rentrer dans notre « standard house » ,vivre normalement en somme, qu’on aurait plus envie de bosser.
    Il y aura toujours besoin du service privés et des fonctionnaires, au contraire, on voudra toujours s’acheter ce que l’autre n’a pas ou bien on voudra plus que l’autre. Mais on aura surtout envie de faire quelque chose pour notre beau pays qui nous permet de vivre quoi qu’il advienne, sans etre pris pour un mouton, un parasite, ou un conssomateur excessif tenu de partout par des centaine de pinces dorées, bref, ne pouvant plus etre… libre.

  3. KéV

    (Je n’ai pas encore lu le livre)

    Bonjour,

    Je ne suis pas forcément pour une suppression totale du droit d’auteur (au moins citer cet auteur), mais, à la renaissance, le droit d’auteur n’existait pas, et personne ne s’en plaignait. Rabelais a bien pu « copier » une partie de textes d’Erasme, personne ne s’en est plaint, pas même Erasme !

  4. Gaelf

    attention au piège ! attention au faux ami !
    quand on parle de doits d’auteur, (au pluriel, hein ?)
    on ne parle pas du droit des auteurs !
    quand on parle de droits, on ne parle pas de Droit, ni de Morale, ni même de la Loi.
    on parle d’argent.
    c’est de la Novlangue, il faut comprendre.
    si vous êtes un Artiste et qu’on vous dit que vous allez pouvoir bénéficier de vos droits, ça veux dire que vous allez pouvoir passer à la caisse et toucher vos «droits», c’est-à-dire la petite somme d’argent qui vous est due pour l’exploitation de votre Œuvre. (avec les majuscules, ça fait partie de la propagande)
    quand au droit des auteurs, il gène un peu pour la pratique du CopyRight, des brevets et autres droitS d’auteur…

  5. Seb35

    @Gaelf: /moi pas compris, même avec mes petites connaissances de novlangue. Le droit d’auteur (ou les droits d’auteur) n’est pas qu’une question d’argent, même si la partie copyright est proéminente de nos jours.

    @gosh: quand on dit travail, on ne dit pas forcément salaire ; et quand on dit salaire, on ne dit pas forcément travail. Et vous devriez aller voir du côté de l’allocation universelle/revenu de vie/unconditional basic income si vous ne connaissez pas, ça peut vous intéresser.